Valoriser, catalyser, faire rayonner : une posture sur la créativité montréalaise
C’est lundi 2 décembre que la Chambre de Commerce du Montréal Métropolitain rendait disponible l’étude « Industries créatives : catalyseurs de richesse et de rayonnement pour la métropole », un document de 76 pages produit par la firme SECOR-KPMG visant à faire un état des lieux de la créativité sur le territoire montréalais.
Pour les auteurs du rapport, Montréal entame actuellement une quatrième phase de sa vie créative : d’une vague institutionnelle (1950-1960), la métropole serait passée par une vague industrielle (80-90), puis collaborative (00-10) avant d’entamer une période de « valorisation » de ses actifs créatifs stratégiques.
Le document met en lumière des constats qui caractérisent l’activité de certains secteurs créatifs montréalais. Partant d’agrégats statistiques, on y apprend notamment que « dans la région métropolitaine de Montréal, les industries créatives emploient directement plus de 91,000 personnes, soit 4,6% du total des emplois de la région. » On y apprend également que, dans le contexte métropolitain, les secteurs retenus par les auteurs connaissent une croissance de l'emploi plus rapide que la plupart des secteurs dits traditionnels. La figure ci-contre est tirée directement du rapport.
C’est également sur la base de ces mêmes indicateurs statistiques que SECOR-KPMG tire des conclusions sur le classement relatif de Montréal parmi les villes nord-américaines et dans le monde. Ces arguments sont étayés de graphiques à la signature visuelle irréprochable, permettant de mieux comprendre la démarche du cabinet dans l’établissement de ces comparaisons. Il s’agit là, soulignons-le, d’une ouverture méthodologique rare dans le « marché » des classements de villes, généralement assez opaque sur le plan des justifications.
Le rapport adopte une position normative relativement prudente, tant dans la manipulation des concepts que dans les recommandations qu’il formule. Par la focale quasi-exclusive sur la dimension emploi au sein des industries créatives, les six recommandations du rapport sont issues in fine d’une analyse de la « classe créative » ; un concept tiré des travaux de Richard Florida relativement contesté dans la littérature en économie et gestion. Comme plusieurs auteurs le reconnaissent toutefois, il s’agit néanmoins d’un construit utile et pratique.
De même, les recommandations visent à faire consensus parmi les acteurs nombreux et hétérogènes de cette « scène » relativement chaotique qu’est celle de la créativité, particulièrement à Montréal. On pourrait d’ailleurs argumenter que cet éclatement — que le rapport décrit péjorativement comme une « fragmentation » et un « manque de consolidation » — constitue précisément ce qui fait la spécificité des industries créatives montréalaises. Cela n’est malheureusement pas reconnu dans le rapport, dont le propos se centre sur les institutions et organisations formelles de l’upperground. On peut ainsi évoquer et promouvoir de manière entièrement non critique la notion de valorisation de la propriété intellectuelle, sans souligner les nombreuses conséquences néfastes que peuvent avoir le déploiement de ces moyens de contrôle et de coercition sur la création émergente et l’avenir des industries créatives.
Ce rapport mérite assurément d’être lu, en espérant qu’a fortiori, celui-ci suscite les débats qu’il prévaut d’avoir autour de ces enjeux autrement plus complexes que ce qui peut être saisi à l’intérieur d’un seul document. Si la notion de « posture » chère à Jean-Jacques Stréliski nous enseigne une chose, c’est qu’elle est primordiale dans l’établissement d’une marque — celle d’un territoire, d’une ville, d’un État, plus que toute autre chose. En guise de conclusion, nous saluons donc l’initiative de la Chambre de Commerce qui, par sa contribution, participe à la mise en scène de certains acteurs de premier plan, qui mériteraient, assurément, qu’on leur accorde une plus grande place dans l’histoire et les nombreuses narrations qui constituent les mythes fondateurs de cette ville magnifique.