Suivre la tendance est une tendance à suivre
Jeudi 5 décembre se tenait à HEC Montréal la 7e édition du colloque Spectre, un événement annuel réunissant des experts de domaines divers, de la géopolitique au numérique en passant par le droit des affaires et l’urbanisme. Une matinée de conférences brèves mais pointues sur l’évolution du monde, actuelle et prochaine, menée par HEC en partenariat avec Secor-KPMG.
Devant une salle comble réunissant de nombreux leaders — entrepreneurs et décideurs intéressés à aborder ces questions sous l’angle de l’économie et du management — les analyses de tendances se sont succédées, parmi lesquelles certaines idées se distinguent très clairement.
Démographie
Nous vivons à une époque formidable où, en raison d’une conjonction de facteurs malheureux, nous sommes particulièrement « vieux ». Vice-Président Recherche et Économiste en chef à la BDC, Pierre Cléroux opine en identifiant spécifiquement le vieillissement comme l’un des enjeux majeurs des années à venir. Les baby-boomers, relativement riches, sont soucieux de préserver leurs acquis, donc relativement conservateurs.
En tant qu’élites de la société contemporaine, les baby boomers doivent notamment leur richesse à une certaine négligence, ayant laissé les infrastructures s’effriter au point qu’elles sont désormais dans un état lamentable. « Après-moi le déluge », écrivaient-ils, adolescents, et la forme est restée, de l’idéalisme à un certain passéisme. Ils ont par ailleurs pour eux le nombre, ce qui signifie que les opportunités d’innovation sont nombreuses pour qui sait s’adresser à ces clientèles.
Déphasés et dépassés par la technologie, les baby-boomers sont marqués pour la plupart par une forte incapacité s’adapter aux nouvelles réalités du monde du travail et de la société en réseau. Ceux-ci ne sont d’ailleurs remplacés que par une main d’oeuvre à moitié aussi abondante, ce qui augure bien pour la diminution du chômage au niveau canadien, mais exerce une pression significative sur les efforts de productivité qui seront exigés en conséquence.
Numérique
Cette césure démographique augure un « système en fragmentation », lui-même alimenté par d'autres mutations profondes au sein de la société. Les élites « âgées » qui tiennent le haut du pavé actuel — en politique comme en affaires, le décalage est palpable — se refusent souvent à accepter ce changement. Comme l’écrit Douglas Rushkoff dans son ouvrage Present Shock, «we may like to think that the only constant is change, except for the fact that it isn't really true – change is changing, too». La démographie québécoise agit en frein à la pleine prise en compte de ce constat.
De manière plus concrète, Cléroux suggère que, selon toute vraisemblance, « le web changera davantage au cours des cinq prochaines années qu’au cours des dernières quinze ». Aidé par le départ à la retraite et la suppression conséquente du « plafond de verre » idéologique, des idéateurs comme Damien Lefbvre de w.illi.am suggèrent de repenser jusqu’à l’identité des organisations et des sociétés de demain.
Pourfendeur du statut quo, Lefebvre s’irrite de cette institutionnalisation de la préservation d’industries mourantes. Prenant la mobilité physique en exemple, ce dernier rappelle combien Montréal tarde à progresser. À l’ère de Square, les taxis n’acceptant pas le paiement par carte devraient être interdits — le concept de taxi lui-même étant, en présence de services peer-to-peer comme Uber, de plus en plus obsolète.
Ce refus de l’obsolescence se vit également dans l’éducation— un argument qui, en les murs d’HEC Montréal, vise droit au coeur de l’institution d’enseignement. « Je préfère payer une prime à mes employés pour qu’ils suivent des cours gratuits en ligne que de les inscrire à des formations coûteuses à l’université », admet Lefebvre. Bien que l’obsolescence programmée des objets ait mauvaise presse — avec raison, disons-le —, la préservation de modes de vie et d’interactions (par exemple pédagogiques) anachroniques ne devrait pas s’ériger en système. Ce que nous vivons à l’heure actuelle ne constitue pas même la pointe de l’iceberg du potentiel du numérique. Il serait intéressant, en 2014, qu’on s’y attèle plus sérieusement.
Autarcie énergétique
Évidemment, au Canada comme au Québec, la question de l’énergie occupe et préoccupe. Pipelines, déraillements, surplus d’hydroélectricité, indépendance, superpuissance, effet de serre, des mots sont jetés à la figure du peuple qui finit par ne plus trop comprendre quels sont les enjeux réels. Et si le numérique porte avec lui la promesse d’une société plus juste et plus égalitaire, la question de l’énergie présente un bilan plus mitigé.
Alimentés par la doctrine conservatrice fédérale, la position et l’image du Canada s’effrite, comme en témoigne un article percutant de l’hebdomadaire The Economist, publié en novembre. Le Canada, depuis Stephen Harper, n’est plus cool. Sa politique étrangère a achevé d’aliéner pratiquement tous les pays au concert des nations, montrant l’incompréhension voire même le mépris pour la fonction de représentation qu’impliquerait le statut de « puissance ».
Martin Imbleau, vice-président développement et énergies renouvelables chez Gaz Métro, a beau nous répéter que le gaz naturel est nettement plus efficace, et que la solution à nos problèmes réside dans la diversification des sources (ce dont nous ne doutons point), il reste que face à ces discours autour d’industries intrinsèquement non-durables, l’auditeur demeure sceptique. Syndrôme hollandais, destruction d’écosystèmes, désinformation, les conséquences de cette obsession énergétique sont nombreuses, et comme en ont témoigné la quasi-totalité des superpuissances énergétiques au cours du 20e siècle (Arabie Saoudite, Russie, Chine), rarement compatible avec une vision éclairée de la démocratie. Comme l’écrivait en 1989 l’auteur américain Amory Lovins, le plus grand potentiel énergétique qui réside sur la planète repose dans… le negawatt, ou l'économie d'innomblables énergies que nous dissipons inutilement.
En contrepartie, c’est notamment autour de tels enjeux que semble s'organiser l’apaisement des relations irano-américaines. L’année qui vient, comme les suivantes, s’annonce pleine de défis sur de nombreux plans. La contrepartie heureuse de ces obstacles et une apparente paix mondiale qui — conflits mineurs mis de côté — permettent d’envisager des évolutions plus saines, sur le plan politique, social, environnemental, et économique.
Une journée plus « qualitative » à HEC Montréal, qu’il sera intéressant de mettre en relief avec les prévisions issues des recherches de Duncan Stewart présentées dans le cadre du Deloitte Technology and Media Trends 2014.