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Compte-rendu

Le "Tickets" de Ferran Adria décortiqué

Au départ, je m'étais donné le mandat d'écrire un billet de blogue sur la nourriture à Barcelone, mais l'expérience unique que j'ai vécue le 3 août 2013 me pousse plutôt à vous la raconter en détails, plat par plat. Avertissement, les photos que vous verrez pourront provoquer une faim extrême, voire une envie désemparante d'aller à Barcelone.

 

Vous voilà prévenus. 

 

Une entrée simple pour TICKETS

 

Foodie invétérée à mes heures, j'étais arrivée depuis déjà plus de deux semaines à la Mecque des tapas et je commençais à me lasser un tant soit peu de la formule traditionnelle: pan con tomate, jamon ibérico, chorizo, croquetas, patatas bravas, calmars à la plancha…d'un endroit à l'autre, c'était plus ou moins du pareil au même, avec quelques variations en ce qui concerne la qualité, mais jamais en termes d'originalité.

 

Alors que je commençais à croire que l'adage " On ne change pas une formule gagnante " était le slogan de prédilection d'une sorte de dictature culinaire des tapas; j'ai eu le privilège de vivre une partie du génie créatif des frères Adrià (Ferran et Albert) au légendaire TICKETS, bar à tapas – et restaurant- le plus convoité de Barcelone ! 

 

C'est en 2011 que Ferran Adrià, pape de la cuisine moléculaire et père du feu El Bulli -sacré 5 fois meilleur restaurant du Monde-, et son frère Albert, qui y siégeait jadis en tant que chef pâtissier, décident d'ouvrir le bar à tapas le plus créatif et déluré du globe. TICKETS, dont la réputation n'est pas à refaire, offre quelque chose d'unique au monde; le tout dans un cadre on ne peut plus festif.

 

Avec un système de réservations extrêmement restrictif, qui fonctionne non seulement sur une base trimestrielle (4 trimestres dans une année, donc aux 3 mois, merci à ma propédeutique en finance du HEC), mais encore exclusivement par internet, obtenir une place garantie chez TICKETS relève presque d'une intervention divine. En revanche, une minorité d'illuminés auront le privilège de se mériter une place en mode walk-in (c'était notamment le cas de Kivanc, mon voisin au bar) et d'autres, moins chanceux, oseront cette tactique et reparteront le ventre vide et la mine basse. Notez que ce stratagème a un taux de succès considérablement plus élevé le midi que le soir !

 

Pour ma part, parvenir à mes fins aura été un long processus. Ayant tenté à maintes reprises de garantir ma place en ligne, tantôt trop à l'avance pour le trimestre désiré et tantôt en retard de deux semaines sur l'ouverture des réservations qui étaient déjà complètes, et ayant eu ouï-dire que deux amis avaient opté pour la technique walk-in sans succès -une pensée pour Laurent et Luc-, j'ai donc décidé de me rendre chez TICKETS un mercredi midi afin d'essayer d'obtenir une réservation en personne, juste avant la fermeture pour les vacances qui avait lieu le samedi suivant. C'était maintenant ou jamais;  je n'avais rien à perdre…Arrivée sur place, je constate que le restaurant est fermé mais que les cuisiniers entrent et sortent de l'établissement sans relâche; je n'avais jamais vu une telle animation lors du temps de préparation. Plantée devant la porte arrière, je vois un homme sortir en vitesse et j'ose lui demander s'il ne peut pas me trouver une place d'ici les vacances imminentes; il me dit qu'il a quelque chose à faire et d'attendre qu'il revienne. Dans la catégorie attentes les plus anticipées de ma vie, celle-ci se classe sûrement dans le Top 10…5 minutes plus tard, il réapparaît et me dit de le suivre à l'intérieur. Alors que j'entre dans ce lieu sacré, temple du tapas moléculaire, je me sens déjà retomber en enfance. Le décor, qui rappelle celui d'un cirque, donne son sens au nom TICKETS. Voyant une quinzaine de chefs affairés à préparer des éléments en prévision du repas du soir, je prie on ne peut plus fort que le jeune homme que j'ai interpellé (qui est par chance le maître d'hôtel) me trouve un ticket pour ce qui s'annonce être une véritable fête foraine gustative. AMEN, j'obtiens une place in extremis au bar le samedi pour le lunch ! Beaucoup trop excitée, je commence déjà à compter les dodos…

 

L'expérience TICKETS

 

Je pourrais me contenter de vous dire que ce repas a changé ma façon de voir les tapas, mais encore la nourriture en soi, ou que tout ce que j'ai eu le privilège de déguster était exécuté à la perfection, mais, comme une image vaut mille mots, je vous offre plutôt un survol complet de l'expérience gastronomique TICKETS. Toutefois, je tiens à souligner que certaines textures et certains goûts demeurent assez indescriptibles et que l'habit ne fait pas souvent le moine. 

 

Samedi 13 h, jour J. J'arrive sur place et je suis accueillie par le maître d'hôtel qui m'ouvre l'entrée comme dans les plus grandes boîtes; avec un ruban de velours et un petit tapis rouge. Décidément, l'exclusivité est déjà mise de l'avant. On m'installe au bar, où j'ai une vue directe sur une station de préparation et sur un écran plasma qui diffuse des vidéos d'El Bulli. J'ai déjà l'eau à la bouche !

 

Mon serveur, vêtu d'un uniforme qui rappelle subtilement celui d'un Monsieur Loyal (animateur de cirque), ne tarde pas à venir se présenter. Alex me demande si c'est ma première fois ici et si je lui laisse carte blanche pour m'élaborer un menu en fonction de ma personnalité, de mes préférences et de mes restrictions alimentaires. Avec quelques informations en main, il repart, doté de sa machine "pos". Je suis un peu sceptique, mais je me prête au jeu. 5 minutes plus tard, il arrive avec un verre de Cava Juvé y Camps Reserva, me présente mon outil de dégustation, la pince de dégustation (ci-haut).

 

Et que la fête commence! 

 

 

+ L'ouverture

 

Tapas 1: Pêches infusées au vin blanc et au ginger ale avec menthe fraîche et zeste d'orange

 

 

Tout en fraîcheur, les pêches servies dans leur bateau ouvrent savamment le bal. Délicates et savoureuses, elles se marient parfaitement avec mon verre de cava. 

 

Tapas 2 : Les fameuses olives sphérifiées d'El Bulli; la première avec des notes de cannelle et la seconde,

plus forte, avec des notes d'ail, de romarin, de citron, de thym, d'orange et de poivre. 

 

 

C'est une tâche un peu complexe que de décrire la sphérification en mots. Ces petites boules, à la surface gélatineuse, explosent en bouche avec la pression de la langue et se dissolvent en quelques secondes. Dès l'explosion, on se voit aussitôt surpris par un éventail de saveurs qui se déclinent les unes après les autres. La seconde olive, beaucoup plus goûteuse que la première, fut une expérience mémorable en soi alors que les saveurs continuaient d'apparaître une fois l'olive dissoute. Je comprends désormais les louanges et le mythe entourant les fameuses olives d'El Bulli !  J'en aurais englouti un pot complet !

 

Tapas 3 : Un tapas signature de TICKETS – Les mini soufflés de mousse de fromage

manchego avec caviar d'huile de noisette

 

 

Ce tapas n'est pas un tapas signature pour rien; il est on ne peut plus suprenant ! Aussitôt la pâte croquée, on découvre une mousse de fromage manchego goûteuse et parfaitement aérée qui fond dans la bouche en quelques secondes. Ce plat témoigne d'une parfaite harmonie entre les saveurs et les textures et le caviar d'huile de noisette vient clôturer le tout avec brio. 

 

+ L'invitation au voyage

 

Tapas 4 : Le Voyage Nordique- Toast de pain noir avec boeuf cru fumé et mariné garni d'aneth,

d'échalottes françaises confites, de crème de fromage; le tout parsemé de poudre de vinaigre.

 

 

Le boeuf cru était absolument exquis. Beaucoup moins forte que le vinaigre régulier, la poudre vinaigrée était un beau complément au goût fumé du boeuf. Un véritable voyage Nordique ! 

 

Tapas 5:  Tomates et gelée de gazpacho avec basilic frais et gros sel

Au moment du service, Alex asperge le plat de parfum de fleur d'oranger,

histoire de faire ressortir les saveurs.

 

 

Complètement renversant; le mélange des textures est on ne peut plus intéressant. Le gazpacho en gelée fut de loin le meilleur que j'ai mangé à Barcelone (quand même cocasse); il fondait littéralement dans la bouche en une véritable explosion de saveurs et de fraîcheur. 

 

Tapas 6: Tartare de thon rouge à la japonaise avec radis, sauce au kimchi,

soja et salsicorne, servi sur purée d'avocats

 

 

Absolument délicieux, ce service fut mon coup de coeur des plats salés. Il m'a fortement rappelé la cuisine du Kazu, qui est selon moi sans hésitation la meilleure brasserie japonaise de Montréal. 

 

Tapas 7 : Taco Thaï-Bar mariné, mangue, arachides et lime 

 

 

Bon, frais et simple, un des plats les moins surprenants, mais tout de même très rafraîchissant ! Comparable à manger un ceviche très bien dosé et assaisonné dans une feuille de salade. 

 

Tapas 8 : Duo d'huîtres françaises (la variété fut lost in translation) –

la première à l'estragon et au vin blanc et la seconde au Ponzu et au caviar

 

 

 

 

Malheureusement, étant une amatrice d'huîtres plutôt douces, je dois avouer avoir été surprise par le caractère laiteux et le goût prononcé de la variété choisie. Toutefois, tel que me l'a souligné Alex, j'ai nul doute que c'est l'une des '' best in the world ''. 

 

+ Entracte descriptif 

 

Entre alors mon voisin au bar, Kivanc, qui subira le même rituel d'initiation que moi : Allergies ? Préférences ? Carte blanche à Alex? etc. Tout au long des services, je remarquerai que son menu sera considérablement différent du mien. Il recevra certains tapas beaucoup plus traditionnels que moi (pan con tomate, jamon ibérico). Il faut croire que mon serveur maîtrise véritablement l'art de saisir les personnalités de ses clients et qu'il savait au fond de lui-même que j'avais une écoeurantite aiguë des tapas classiques! Enchaînons avec le reste…

 

Tapas 9 : Croquettes de bar frit avec sauce mojo épicée 

 

 

Un des plats préférés de mon serveur Alex. Bien que très salées, ces croquettes de poisson furent exécutées à la perfection…et que dire du joli plat de service TICKETS en bois que je me suis d'ailleurs acheté et que j'ai très hâte d'utiliser à mon retour de voyage ! 

 

Tapas 10 : Petit sandwich de porc avec mozzarella et moutarde italienne

 

 

Je dois avouer avoir été un peu déçue à l'arrivée de ce plat…Un petit sandwich avec un gros morceau de porc plein de gras; cela ne me laissait pas pantoise…En revanche, lorsque j'ai pris ma première bouchée, j'ai eu le plaisir de découvrir un pain pancake très moelleux et un morceau de porc qui fondait littéralement dans la bouche. Comme quoi, il ne faut pas juger quelque chose avant de l'avoir goûté !

 

Tapas 11 :  Jambon fumé et pommes de terre bouillies; le tout saupoudré de parpika et

accompagné d'une réduction de raisins de Porto 

 

 

Si je n'avais pas eu Chan Chan du Buena Vista Social Club en arrière-plan, je me serais crue au fin fond d'un rang dans une cabane à sucre québécoise on ne peut plus traditionnelle ! J'ai décrit ce plat à Alex comme a "plate that tastes like home''; le genre de plat dont Martin Picard serait fier. 

 

Tapas 12 : Duel de fromage payoyo – Sphérification versus état brut

 

 

Le fromage Payoyo est une spécialité locale qui s'apparente un peu à la Tomme de Kamouraska. Fromage de chèvre à pâte ferme au lait crû, il est absolument délicieux et son goût est assez prononcé. J'ai trouvé la comparaison entre les deux états on ne peut plus curieuse et fascinante. Alors que la première déclinaison à l'état brut se voulait plus goûteuse, la seconde, toute en douceur, conservait toutefois les particularités du fromage avec une touche de zeste d'orange. Absolument délectable !

 

+ Dernier acte: Les desserts

 

Alors que je commençais à être assez pleine, je me devais tout de même d'essayer quelques desserts; le chef Albert Adrià étant une sommité de la pâtisserie ! N'étant pas vraiment du type dent sucrée, je ne m'attendais franchement pas à être aussi charmée par ce qu'on s'apprêtait à me servir. Afin d'accompagner le tout, j'ai opté pour un verre de Tokaji Aszù, vin de dessert Hongrois, qui fut absolument exquis. Quelle belle surprise ce fut que de retrouver un vin de la sorte à Barcelone…Salud !

 

Les puttonyos sont l'unité de mesure du niveau de sucre résiduel par litre pour les vins doux de dessert Hongrois. Ils s'échelonnent entre 3 et 6, 3 correspondant à 60 g de sucre résiduel par litre de vin et 6 correspondant à 150 g de sucre résiduel par litre de vin (ce qui est extrêmement sucré). Celui-ci, évalué à 3 puttonyos, était parfaitement balancé au niveau du sucre et de l'acidité. Il avait de très belles notes d'abricot et d'épices douces au nez ainsi que de vanille, d'agrumes et de noix en bouche. Absolument merveilleux !

 

Tapas 13 : Roches volcaniques de chocolat blanc et de sésame noir avec une touche de

praliné aux noisettes et de purée de fruit de la passion

 

 

De prime abord, j'ai commandé ce dessert parce que j'avais vu mes voisins se le faire servir et que j'étais extrêmement curieuse de le goûter. D'après ce que j'ai pu observer, c'est plutôt monnaie courante d'être intrigué par les plats des autres convives chez TICKETS; certains gourmets photographiaient même de loin les assiettes et les présentations les plus farfelues des autres et elles devenaient alors de véritables objets de convoitise. Ce dessert, qui m'a d'autant plus attirée parce que j'étais en train de relire La face cachée de la lune de Robert Lepage, fut indubitablement un moment fort de mon voyage en Espagne. Influencée par leur allure de roche volcanique, j'étais persuadée que ces petites boules seraient plutôt dures et qu'elles s'apparanteraient à de la tire-éponge…Quel ne fut pas mon bonheur de constater encore une fois que ces bouchées absolument divines étaient légères comme l'air et que le mariage chocolat blanc/sésame noir était digne des plus grandes passions !

 

Tapas 14 : Cupcake aux noix à la mangue et au yogourt 

 

 

Constitué d'une couche de mélange de noix (en guise de cake) fourrée au sorbet à la mangue et surmontée d'un ''glaçage'' au yogourt, ce cupcake réinventé, qui m'avait été chaudement recommandé par Alex, s'est avéré d'une fraîcheur remarquable…Et, tel que vous pouvez vous en douter, tout, voire absolument tout (eh oui, même l'emballage) fondait dans la bouche !

 

Tapas 15 : Cannelloni aux avocats  

 

 

Bien que moins surprenant que les autres desserts que j'ai eu la chance de goûter, ce cannelloni d'aguacate était tout de même très curieux. Saupoudré de fragments de grains de maïs croquant (dans le style corn nuts) et garni de pousses de basilic et de yogourt; il me rappela étrangement un goût prononcé de céleri. Rafraîchissant ! 

 

 

+ Le rappel

 

Pendant que je terminais mon verre de vin et que je discutais avec Kivanc, qui continuait de recevoir des services, je vis arriver la curieuse boîte que voici devant lui…Inutile de dire que je me suis empressée d'apostropher Alex, qui me l'avait préalablement conseillée, et de me laisser finalement tenter par ce dernier vice ô combien alléchant. 

 

Tapas 16 : Citron glacé farci de sorbet au citron, miel, biscotti

et yogourt; garni de menthe et de  basilic 

 

 

Aussi beau que bon; cet ultime service est venu clore le bal tout en beauté !  Frais, savoureux, fruité, acide, sucré, coulant et croustillant; ce citron glacé mériterait d'être dans un véritable coffre aux trésors. 

 

Somme toute, un des éléments les plus délicieux du repas fut la facture extrêmement raisonnable en fonction du rapport qualité-prix. Au total, mon aller simple chez TICKETS m'aura coûté seulement 103 euros (excluant le pourboire additionnel, mais incluant 3 verres de vin); vivement la démocratisation de la gastronomie créative et vive le(s) roi(s) Adrià !

 

+ Post Mortem

 

16 tapas et 2 heures et demie plus tard, j'avais finalement englouti le repas le plus renversant de ma vie. L'attente entourant le repas, le mythe derrière TICKETS et les frères Adrià, l'exclusivité, l'ambiance, le décor, le service personnalisé, les techniques culinaires, l'élément de surprise, les plats, la présentation, ma rencontre avec Kivanc et bien d'autres éléments avaient contribué à faire de cette expérience un événement inimitable et inoubliable. Tel que Ferran Adrià le mentionne dans le célèbre ouvrage Une journée à El Bulli

 

Un dîner dans un restaurant doit être une expérience qui va bien au-delà du simple repas. Il y a le trajet, le cadre (décor), le service, la ronde des plats, la conversation. Chaque expérience est unique. 

 

Mission accomplie Ferran;      

In Adrià veritas, Amen. 

 

 

Adresses mentionnées

TICKETS tapas bar

Avinguda Paral lel, 84

Barcelona, Catalunya

Réservations via internet exclusivement

au http://www.ticketsbar.es/web/

 

Restaurant KAZU

1862 Sainte-Catherine Ouest

Montréal, Québec

Pas de réservations possibles, en mode walk-in uniquement 

http://kazumontreal.com/fr.html

 


 

Montréalaise de souche, Camille Lareau a complété un Baccalauréat en études françaises à l'Université Concordia ainsi qu'un certificat en communications à l'UQÀM. À l'âge de 19 ans, elle fonde patwhite.tv, webtélé du blogue culturel patwhite.com, où elle fera ses premiers pas en tant que journaliste. Ayant développé une forte passion pour les arts de la table, elle décide de suivre cette avenue en entamant une maîtrise portant sur la gastronomie montréalaise au sein du département de marketing d'HEC Montréal. Amatrice de vins et de spiritueux, elle a récemment complété le niveau 2 du Wine & Spirit Education Trust (WSET) à l'ITHQ de Montréal. Retrouvez-la:

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