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"Le Québec parle aux Français", un interview avec Lorenzo Sterzi

MosaiC est une plateforme d'échange sur la créativité et l'innovation basée à Montréal, qui intègre en son sein un grand nombre de ces ex-français venus s'établir dans la Belle Province. Plusieurs de ses protagonistes, rattachés à HEC Montréal – Patrick Cohendet et Laurent Simon, Jean-Jacques Stréliski et Pierre Baloffet – ont leurs origines sur le vieux continent. À l'occasion du lancement de son premier film documentaire, "Le Québec parle aux Français", Lorenzo Sterzi a accepté de répondre à nos questions.
 
 
Q : Vous portez ce projet de documentaire, qui est votre premier, depuis plus de deux ans maintenant. Comment faites-vous la part des choses entre la portion créative et la portion administrative d'une telle entreprise ?
 
R : Elles sont très liées. Quand on produit un film on doit penser à tout l’aspect financier. Monter un film équivaut à partir une entreprise. Un producteur est avant tout un homme d’affaires qui a, contrairement aux chefs d’entreprise, une sensibilité artistique développée. Dans mon cas, je portais les deux chapeaux, ce qui rendait la tâche complexe. J’étais certes le producteur, mais aussi le co-réalisateur, avec Mélanie Pélican, l’autre réalisatrice du film. Je devais donc avoir la tête aux chiffres et à l’organisation mais aussi la tête en mode artistique.
 
 
Q : Vous avez suivi des formations de haut niveau avant de lancer votre carrière dans le milieu du cinéma ; quel genre de préparation, formation, éducation, croyez-vous qu'il soit nécessaire d'obtenir avant de pouvoir se lancer dans un milieu aussi difficile que le cinéma documentaire ?
 
R : Franchement, aucune. J’ai suivi toutes ces formations parce que je me cherchais. HEC m’a donné une structure, une rigueur qui me servent encore aujourd’hui. A l’INIS, j’ai appris les bases du cinéma et la New York Film Academy de Los Angeles m’a permis de comprendre tout le volet « business » relié à l’industrie du cinéma. Ils disent d’ailleurs là-bas « Movie business ». Mais comme je l’ai dit, toutes ces connaissances, on peut les apprendre sur le terrain. Pour réussir il suffit juste d’avoir beaucoup, mais beaucoup de chance. Le talent est une chose, mais la chance est LE facteur de réussite. Combien de gens bourrés de talent ne percent jamais ? Et combien de nuls voit-on partout ? Cependant, si je devais conseiller une seule école, ça serait l’INIS. La formation est excellente, les possibilités d’émancipation sont hallucinantes et c’est de loin, la meilleure équipe professorale que j’ai connue.
 
 
Q : Le cinéma documentaire est peu connu du grand public, bien que cela semble moins être le cas depuis la parution de "blockbusters" (Bowling for Columbine, Supersize Me, Man on Wire). Est-on inspiré dans le documentaire comme dans d'autres formes de création cinématographique ? Quelles sont, pour vous, les oeuvres marquantes des dernières décennies dans ce créneau ?
 
R : L’inspiration est la même pour tous les genres de cinéma. Combien y-a-t-il de choses à montrer dans le monde, de choses à dénoncer ? Les documentaristes sont les yeux qui éveillent nos consciences qui s’endorment à coup de bêtises Kardashiènes. En ce qui concerne Michael More, beaucoup de gens le critiquent, moi je l’admire. Il a réussit justement, à susciter de l’intérêt pour un genre de cinéma qui était perçu comme élitiste. Il a réussit à vulgariser des sujets complexes en donnant de l’émotion et de l’humour à ses films. C’est simplement génial. Critiquer ça, c’est du snobisme intellectuel. Ses détracteurs ont jugé la forme (certes pamphlétaire) sans juger le fond de ses films. Cependant, le cinéma direct n’est pas mort. Un des derniers documentaires québécois que j’ai adoré est « À hauteur d’homme ».
 
 
Q : On a beaucoup parlé de Xavier Dolan ces dernières années, mais aussi de Stéphane Lafleur, d'Yves Christian Fournier ou de Maxime Giroux. Assiste-t-on à une véritable "nouvelle vague" au sein du cinéma québécois ? À votre avis, en quoi vous inscrivez-vous dans un tel mouvement ?
 
R : Nouvelle vague ? Je ne sais pas. Encore faut-il qu’il y ait déjà eu une ancienne vague. Je pense que l’on se cherche encore, que l’on est encore dans l’expérimentation. Le génie, mais surtout le succès d’un réalisateur comme Dolan est porteur d’espoir en tout cas. Quant à moi, je n’ai pas la prétention de m’inscrire dans quoi que ce soit. Je n’ai pas encore fait mes preuves. J’espère seulement que les sujets que j’aborde dans « Le Québec parle aux Français » seront à l’origine de débats familiaux, amicaux ou publics qui enrichiront le Québec. Du choc des idées, jaillit la lumière !
 
 
Q : La démultiplication des outils de production et le long glissement vers le numérique auquel on assiste dans le milieu du cinéma rend la création d'oeuvres cinématographiques plus accessible à tout une génération d'adolescents et de jeunes adultes. Comment les modèles de production, de diffusion et de rémunération traditionnels sont-ils influencés par ces changements sociotechniques ?
 
R : Je pourrais écrire un livre à ce sujet ! Très brièvement, je pense que tout ce qui se passe est généralement positif. C’est bien que des gens puissent avoir accès à des outils de création. Certes, il y a beaucoup de merde en ligne, mais il y a aussi beaucoup de bijoux ; bijoux que l’on n’aurait pas pu voir il y a à peine 5 ans. Quant à la distribution, tout est à revoir. Je pense que le DVD et le Blue-ray sont condamnés à mort. L’Apple TV et la playstation sont en train de faire une réelle révolution dans l’industrie. Le danger dans tout ça c’est que les gens n’achètent plus leurs films sur iTunes mais les téléchargent illégalement. Ceci dit, peut-on réellement les blâmer ? Saviez-vous qu'aux États-Unis, pour un film ayant coûté 6 millions et ayant fait 20 millions de recettes en sale, soit un profit de 14 millions, le distributeur se prendra 6 millions, alors que les investisseurs ne récupéreront probablement pas la totalité de leur investissement?
 
 
Q : Vous diffusez, depuis quelques jours, des échantillons "longs" (10 minutes) de "Le Québec parle aux français", sur lesquels vous ne percevez aucune rémunération. À l'ère du 'torrent' et du piratage de masse, comment vous positionnez-vous par rapport aux enjeux de propriété intellectuelle et de rémunération du créateur ?
 
R : Je les diffuse gratuitement car aucune télé n’a semblé intéressée à acheter les droits. Le film nous a coûté autour de 50 000$ mais, même à perte, un film doit être vu. Un film qui n’est pas vu passe à côté de la raison même pour laquelle il a été fait. Argent ou pas, le film doit être vu, apprécié ou détesté et critiqué. Au final, je ne regrette pas mon choix. En une semaine, la partie sur l’introduction a fait plus de 10 000 clics pour un sujet assez franco-français. En ce qui concerne la propriété intellectuelle, c’est une chose, héritée de Beaumarchais, pour laquelle on doit se battre. Cependant, comme je l’ai dit auparavant, tout le concept de distribution doit être revu. Les marges des distributeurs sont tellement immenses qu’elles en sont vulgaires. L’avenir du 7ième art se situe, entre autre, dans l’émergence des séries Web qui généreront de l’argent aux créateurs grâce aux bannières publicitaires.
 
 

Cet interview téléphonique a été réalisé par Francis Gosselin le 2 mars 2011.
Pour en savoir plus sur Lumen Box Films.
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