
Laboratoires de création: le dilemme de l’indépendance
Dans les pages du blogue de Génération Inc, je décrivais récemment une tendance en termes de structures innovantes pouvant être décrit comme un "nouvel âge d'or pour les laboratoires de création".
En effet, cette résurgence du concept de "laboratoire" ouvre une nouvelle ère de recherche prenant comme point de départ les entités les plus grandes, sorte de réponse au dilemme de l'innovateur décrit par Clayton Christensen. Ici, ce sont les hiérarchies qui, par nécessité, acceptent de laisser faire.
Tirant parti des notions acquises par plusieurs décennies d'expérimentation, les dirigeants de ces entités ont choisi de faire confiance à ces mécanismes atypiques qui portent en eux le germe de grandes perturbations des processus organisationnels habituels, pour le meilleur et pour le pire.
C'est ainsi, par exemple, que dans les années '70, American Airlines a couvé, puis plus tard contribué à la mise en marché du logiciel de réservation Sabre, aujourd'hui utilisé par plus de 350 000 agents de voyage servant 400 compagnies aériennes.
En 2011, lorsqu'Américain Airlines déposait le bilan, la valeur boursière et les rendements de Sabre excédaient largement ceux de la société mère.
Autonomie, culture et transversalité
Il est bien entendu préférable que de telles initiatives disposent d'une forte autonomie et d'une certaine latitude dans leur utilisation des ressources et dans la détermination des orientations stratégiques propres à leurs travaux de recherche.
Cette ambidextrie organisationnelle — d'un côté, opérer efficacement ; de l'autre, avancer à tâtons — est généralement favorisée par l'alternance entre des lieux, des moments et des contextes qui se prêtent tantôt à l'exploration de nouvelles possibilités, tantôt à l'exploitation de ces possibilités en vue de servir les fins de l'organisation.
Ces laboratoires, dans leur mission exploratoire, deviennent par conséquent animés par un esprit distinct de leur hôte. Cela est vrai en termes de leadership, de recrutement, d'incitations à la performance… Bref, les laboratoires créent par définition, en vase clos, toute une culture de l'invention dont les recoupements avec la culture organisationnelle productive ne sont pas nécessairement nombreux.
Le plaisir et l'ennui
Il faut donc faire attention que cet esprit d'indépendance ne devienne pas un fléau. Prenons le cas, par exemple, d'Arrow Electronics une société américaine de composantes électroniques dont la direction avait choisi, pour sa nouvelle initiative numérique, de créer de toutes pièces une unité d'affaires autonome. Fondée sur la reproduction du modèle startup, la quasi-totalité des collaborateurs de cette nouvelle entité étaient de jeunes recrues, excessivement formés, et par décret de la direction, installés au sein de bureaux qui, bien qu'adjacents aux bureaux "traditionnels" de l'entreprise, furent conçus avec le plus grand soin : cuisine entièrement rénovée, meubles signés par de grands designers, espaces de détente, etc.
Cette startup interne, si elle excéda rapidement les attentes en termes de développement de produits et d'inventivité, créa un schisme au sein d'Arrow — d'un côté, les unités d'affaires soumises à des objectifs de productivité, de ventes et de rendements très stricts ; de l'autre, un laboratoire flexible, aux objectifs imprécis, où tout le monde allait et venait à sa guise, vingt-quatre heures par jour.
L'ennui et le plaisir, structurellement divisés de la sorte, ne font jamais bon ménage.
Ces "espaces de liberté" ne sont donc pas une panacée ; le chaos qui les caractérise doit avoir été, paradoxalement, mûrement réfléchi. S'il est impossible de savoir d'avance ce qui en émergera, il faut se préparer à ce quelque chose arrive.
L'anticipation de cette dualité, et sa prise en considération dans le design des organisations créatives, sont déjà des pas dans la bonne direction.
Images: Ambidextrie.