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L'homme qui pompait des blogues
Opinion

L’homme qui pompait des blogues

Il était une fois sur Internet, une agence montréalaise nommée Agence Elysium, dont le site et les pratiques avaient des apparences douteuses. 

 

Par un beau matin de janvier 2014, Suzanne Lortie — professeur à l'École des médias de l'UQAM et spécialiste de la culture numérique — remarque un fait étrange : l'un de ses textes est partagé sur les médias sociaux par Elysium, mais sur son propre site, sans que le nom de l'auteure n'apparaisse nulle part. Le titre reste inchangé, et seul un lien caché en bas de page permet de retracer la source originale, soit le blogue Écran de veille du Fonds des Médias du Canada.

 

Lortie interpelle alors la rédactrice en chef dudit Écran de veille, Gabrielle Madé. S'ensuit une vaste conversation qui, sans atteindre des proportions dugalesques (voir trouble.voir.ca, "Le Thread"), réussira néanmoins à mobiliser une portion significative de la communauté intellectuelle numérique québécoise. 

 

Président de l'agence numérique TP1, Jan-Nicolas Vanderveken effectue quelques vérifications. D'autres billets d'Elysium émergent comme faisant l'objet de tels plagiats. Des textes intégralement pompés sur le blogue de Triplex chez Radio-Canada, d'autres du FMC, de l'Association des Professionnels de la Communication et du Marketing (APCM) et d'ailleurs, sont reproduits sans attribution. La politique de CBC / Radio-Canada est pourtant claire, "pour reproduire intégralement les contenus numériques de la SRC, il faut une autorisation", nous dit Nadia Seraiocco. (ajout: Jean-François Renaud de chez Adviso, ajoute que les pages de service d'Elysium sont "des copy-paste de d'autres compagnies, dont iProspect").

 

Ainsi, des personnalités aussi diverses que Martin Lessard, Fabien Loszach, Suzanne Lortie, Stephanie Kennan, Danielle Desjardins, Emily Claire Afan, Dominic Pilon et Aurélie Ponton sont visées par ces atteintes à l'intégrité du texte et de son contexte. 

 

Pris la main dans le sac mais démontrant néanmoins peu d'empathie face au désarroi de ces auteurs, le fondateur de l'agence Achour Ikmel Alt-Abdesselam — qui se décrit lui-même comme un "libertarien défenseur du libre-marché" — est en fait l'unique employé de cette agence douteuse. C'est donc dire, l'unique artisan de son malheur. Il compte parmi ses clients la Boutique Bubbles, l'École du Show-Business et le Complexe Galaxy de Beyrouth Est — dont la page d'accueil vaut la peine d'être visitée. 

 

 

 

Lecteur probablement assidu de Jeff Bullas, il semble que certaines subtilités de l'écosystème de contenu contemporain échappent néanmoins à Alt-Abdesselam. La décision de fonder la réputation de son agence sur le leurre d'une intelligence de marché issue de l'usurpation du travail des autres est un pari risqué. Interpellé par la communauté, Alt-Abdesselam défend sa pratique, et se drape dans des arguments d'une légitimité douteuse, arguant que son vol ne constitue in fine "rien d'illégal ou même d'immoral", incitant les auteurs des textes à "porter plainte avant de salir […] quelqu'un, par ignorance ou frustration".

 

"Interpellé, Alt-Abdesselam

défend sa pratique, et se drape

dans des arguments d'une légitimité douteuse"

 

Nous sommant de cesser notre questionnement "sous peine de nous accuser à son tour de diffamation", le jeune protagoniste change toutefois de ton devant l'inévitable pluie de mises en demeure qui le trouveront lundi matin. Cet incident met toutefois en lumière la nécessité de clarifier la politique de diffusion des contenus des médias numériques en fonction d'une nétiquette particulière, que les éditeurs de ces médias prennent souvent pour acquis. 

 

N'est-ce pas le propre du numérique, qu'en partageant un contenu de quelque nature, l'auteur s'en dépossède en partie? Ne sacrifions-nous pas, ce faisant une partie de la paternité de nos idées, au profit d'une noosphère plus vaste que la somme de ses parties? 

 

"It is not yours anymore. It belongs to the Internet". 

 


Images : Wiki Commons, Jeff Bullas, BitTorrent blog.

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