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L’évolution socio-technique du monde scientifique
École d'automne en management de la créativité de Strasbourg, première journée. "Êtes-vous bien certain que ce soit nécessaire, le Twitter?" La question est assez fréquente, dans les milieux scientifiques. À l'ère où le virtuel ponctue de plus en plus les choix des individus citoyens et consommateurs, l'image de marque des villes et le succès relatif des organisations, la question mérite néanmoins d'être débattue. Twitter, comme Facebook, sont-ils nécessaires au "succès" d'une rencontre internationale. Débat houleux. Conclusions mitigées.
Commençons par le commencement. D'abord, pour ceux qui l'ignorent, Twitter est un service qui permet de grappiller des impressions, des citations, d'extraire des idées, et de les mettre en lien avec d'autres. Cela se fait notamment grâce aux hashtags qui identifient un ensemble de contributions, mais aussi à un système complexe de paternité (la plupart du temps honorée) desdits tweets et desdites sources. Ce faisant, le célèbre réseau social sert (ou peut servir) de réseau de co-référencement qui n'est pas sans rappeler un certain ethos de la citation qui constitue la base du système scientifique moderne. Twitter, comme la majorité des thèses contemporaines, sert d'amalgame pêle-mêle de citations, auquel il manque peut-être un modèle empirique qui, par ailleurs est, du côté scientifique, souvent tiré de données préexistantes. Twitter, doctorat ; même combat ?
Trève de plaisanteries, on se surprend néanmoins de constater le peu de sérieux qu'accordent les chercheurs à la chose virtuelle sociale. On rejette Twitter et Facebook, LinkedIn et Foursquare comme s'il s'agissait d'autant de distractions vulgaires, de jeux pour enfants convenablement posés aux portes d'un IKEA pour que de sages chercheurs puissent y laisser leurs jeunes confrères et y faire leurs emplettes publicatoires en paix. Pourtant, Twitter a ceci de vrai qu'il ne se restreint pas aux illusions du jeu de la publication. Il ne prétend pas faire avancer quoi que ce soit, il statue. Ou "statut", comme sur Facebook. Le 'who's who' du parc de jeu d'IKEA est donc lancé.
Alors qu'on pourrait croire l'élite intellectuelle apte – et surtout disposée – à se lancer corps et âme dans des outils qui permettent justement ces échanges intellectuels vifs et hétérogènes, on surprend plutôt celle-ci en plein délit d'inertie sociale. Face à ce rejet du réseau social comme source de production symbolique et de partage des savoirs se cache deux phénomènes : d'abord, une incompréhension des dynamiques qui animent ces réseaux (qui découle de la non-participation, et qu'on peut au demeurant s'expliquer), mais aussi peut-être une certaine forme de rejet jaloux, tributaire d'une menace perçue sur le plan de la légitimité, voire de la crédibilité.
En fait, le réseau social, par la mise à disposition des liens qui peuvent permettre la création de connaissances croisées, constitue un lieu de formation, de partage et d'édification de nouvelles significations qui sont ensuite transposées sur d'autres interfaces. Twitter participe, ce faisant, d'un ensemble plus vaste de lieux virtuels qui, à l'instar du concept de ba définit par Nonaka et Konno en 1998, n'est compréhensible qu'en relation avec d'autres ba qui ensemble constituent la trame de fond d'un véritable système de création de connaissances. On peut ainsi croiser une épistémologie profane à sa contrepartie scientifique et donner à qui veut bien l'entendre (nous suivre, ou nous faire son "ami") les ressources à mobiliser pour saisir les symboles complexes qui font (et défont) la science humaine moderne.
Alors que longtemps rares maîtres de l'art de la conférence, les intellectuels et les scientifiques humanistes semblent avoir été, avec l'avènement des technologies liées à l'informatique et aux réseaux sociaux, relativement laissés de côté, voire littéralement largués par une foule de citoyens profanes mais connectés. Alors que la conférence scientifique moderne demeure ce lieu de répétition, intellectuellement hermétique et tenue derrière des portes closes, elle est graduellement délogée par des manifestations visuellement plus attrayantes, souvent plus pertinentes, et tellement plus accessibles – tant en termes de contenu et de prestation visuelle, que par sa simple existence au sein de mondes virtuels. Il faut donc parler de créativité et de citoyenneté – encore, et encore davantage, cela nul ne saurait le contester – mais il faut aussi apprendre à intégrer les conclusions de ces discours à nos pratiques. Cela commence par ce blogue, qui sera plus tard promu sur un réseau, retweeté sur un autre, et enfin lu, pour le plaisir des uns, et la réprobation des autres.
Les néologismes sont bien évidemment volontaires.