Dispositifs d’innovation territoriaux : saveur du mois ou solutions pérennes?
Espaces de coworking, fab labs, incubateurs et accélérateurs d’entreprises se répandent sur l’ensemble des territoires urbains à une vitesse étonnante, occupant une place de plus en plus importante au sein des écosystèmes d’innovation. Si l’implantation de ces espaces dédiés à la création et à l’innovation collective a su faire nombre d’adeptes ici et ailleurs, elle génère également une vague de scepticisme qui n’est pas sans fondements.
Derrière ces dispositifs, il importe effectivement d’interroger la logique et les effets qu’elle souhaite générer. Est-elle l’effet d’une mode passagère, ou encore le sous-produit de stratégies du « branding créatif » des villes (avec ses écueils, tels que rapportés précédemment sur ce blogue ici et là), ou y a-t-il réellement derrière cette pléthore d’initiatives la volonté de mise en place d’une superstructure d’innovation territorialisée ?
Intervenant dans le cadre de l’École d’automne en Management en créativité de Strasbourg, le professeur Raphael Suire, économiste et professeur associé à l’IDEC Center de l’Université de Rennes 1, développe ses réflexions sur la créativité en mouvement en positionnant ces dispositifs comme des tiers-lieux de l’innovation collective.
S’appuyant sur les travaux « d’anatomie » de l’organisation structurelle des territoires créatifs (développés notamment par Patrick Cohendet, David Grandadam et Laurent Simon), Suire définit ces nouveaux joueurs comme des acteurs centraux du middleground (ou milieu intermédiaire, sous la forme de « communautés de pratique »). D’une part, ils facilitent la socialisation et la friction des idées entre les acteurs des différentes communautés, une étape nécessaire à l’innovation. D’autre part, ils établissent la liaison entre les acteurs de l’underground dont la force est l’exploration des possibles, et les institutions formelles de l’upperground permettant la mise en marché des idées créatives.
Rennes: coworking et co-design
Partant le cas de la ville de Rennes dont la concentration technologique est considérable, Suire avance que « l’innovation créative est le produit de l’articulation et la complémentarité des tiers-lieux ». Ainsi, un territoire à fort capital innovant – pensons cluster technologique, ou numérique – est le résultat d’une structure adaptée et adaptante. La simple co-habitation des entreprises évoluant au sein d’une même industrie n’est pas suffisante pour assurer la pérennité des activités innovantes du territoire puisqu’un risque de conformisme et de renfermement sur soi est toujours possible.
Cela signifie que les institutions et entreprises – celles qui incarnent la plus haute strate de l’anatomie décrite ci-haut – risquent de voir leur succès créer des effets d’enfermement au sein de boucles technologiques, les éloignant des idées créatives, potentiellement disruptives, que proposent les acteurs émergents. La superstructure permet donc cette ouverture des acteurs établis vers les nouveaux joueurs de l’underground, et ce via ces tiers-lieux créatifs que sont les espaces de coworking, les incubateurs et les accélérateurs d’entreprise.
Ceci dit, le lien entre de tels tiers-lieux, répondant somme toute à un effet de « tendance », et la dimension collective de la démarche d’innovation, reste à établir. Suire est d’avis que leur contribution est tributaire de leur capacité à identifier les bons acteurs du niveau inférieur et supérieur et de les mettre en relation, tout en offrant des services complémentaires.
C’est notamment le cas du territoire urbain de Rennes: l’espace de coworking la Cantine Numérique et l’accélérateur à projets l’Annexe proposent des services répondant aux différentes étapes du développement d’un produit technologique. C’est ainsi que, en plus d’offrir des espaces de travail pour entrepreneurs et travailleurs autonomes, la Cantine se veut un lieu de socialisation centré sur le numérique, contribuant à la création de communautés dynamiques.
Pour sa part, l’Annexe permet d’accélérer l’entrée sur le marché des start-ups selon le modèle Lean Startup développé par l’auteur américain Eric Ries. Ainsi, les acteurs de la Cantine dont le projet se concrétise suffisamment passent naturellement à la phase suivante dans l’Annexe. Les allers-retours entre les deux dispositifs permettent une construction itérative fluide de l’innovation collective.
Pour en revenir à la question initiale, à savoir si ces phénomènes collectifs émergents pourront s’inscrire dans la durée, Suire conclut qu’il faut non seulement considérer leurs objectifs (complémentaires ou non), mais surtout la structure dans laquelle ils s’insèrent. Puisque l’innovation collective n’est pas l’aboutissement d’actions isolées, mais le résultat d’un tout.