Votre message est important pour nous
Nous parlons pour être compris. Par la parole, nous sortons de nous-mêmes pour aller vers l’autre et échanger avec lui. Le défi de la communauté passe tout d’abord par les mots, le langage étant à la source de la communauté dont nous faisons partie. Or, nous pouvons le constater, nous remplaçons de plus en plus les mots par des images, des symboles, des émoticônes. L’image valant mille mots, le compte est facile à faire. Y gagnons-nous au change? Pas autant qu’on pourrait le croire.
Le symbole peut parfois porter à confusion, car il nous ouvre sur des sphères différentes de compréhension du message primaire. Ce faisant, il devient hermétique nous privant de la pensée, du message. Sous le couvert de l’utilité, de l’efficience, de la rapidité et de la simplicité, nous nous refermons sur nous-mêmes ne pouvant pas comprendre complètement et largement ce qui nous est donné. Prenons l’exemple du cumul des étoiles à l’épicerie, en fonction d’un menu dit santé. Lorsqu’on ne sait pas réellement ce qui a permis d’attribuer autant d’étoiles, sommes-nous réellement en face d’une intelligence qui tente d’analyser le réel et de comprendre par elle-même ce qui serait bon pour sa santé? En réalité, nous sommes plutôt devant une problématique d’hermétisme de la simplicité. En simplifiant le message, on ne nous donne pas la clé qui nous permettra de faire un choix éclairé. On compte sur nous pour une meilleure docilité face au message diffusé par le symbole. C’est une étoile; personne n’est contre les étoiles!
Hegel a longuement théorisé sur le sujet du langage par le biais du « concept », c’est-à-dire de ce qui est universel, soit l’essence des choses. Le langage est constitué essentiellement de concepts. On est en droit de se demander si ces concepts ont été créés par l’homme (la langue est souvent vue comme une convention) ou découverts par nous dans le monde. A la différence de plusieurs, Hegel affirme que l’acte de penser (soit de jongler avec les concepts) est un acte concret qui appelle notre expérience quotidienne. Il n’y a pas pour lui de dichotomie entre les objets de pensée et les choses du monde; l’un est participatif de l’autre. Par exemple, le concept universel « table » est participatif de la table de ma cuisine comme de toute autre table d’ailleurs. Nous le comprenons via les objets singuliers du monde. Hegel stipule que les universaux procèdent de la réalité dont nous faisons partie et que notre pensée peut les « percevoir » dans les objets du monde, il lui suffit d’en faire l’analyse. Et c’est par ces concepts que nous pourrons communiquer.
"En simplifiant le message, on ne nous donne pas la clé
qui nous permettra de faire un choix éclairé.
On compte sur nous pour une meilleure docilité
face au message diffusé par le symbole.
C’est une étoile; personne n’est contre les étoiles!"
L’adéquation entre le langage et le monde sensible devient un défi constant puisqu’il découle de notre compréhension du monde. Donnons-nous un exemple. Voici un arbre, celui que je vois à travers la fenêtre de mon appartement. Vous voyez l’érable qui est de l’autre côté de la rue, derrière la maison blanche et dont l’une des branches va bientôt casser sous le poids du verglas. Comme nous pouvons le constater, pour parler d’une chose singulière (cet érable-ci), nous devons utiliser une myriade de qualificatifs pour la désigner. Le caractère concret qu’Hegel amène dans la problématique de la pensée nous pousse à voir toute la complexité du langage pour désigner une chose singulière avec des termes universaux. Ce langage sera concret lorsque nous saurons utiliser les bons termes pour parler du monde. Nous serons abstraits, c’est-à-dire en dehors du réel, lorsque l’adéquation entre le langage et le monde ne sera pas effective.
En utilisant de plus en plus des symboles pour « parler », cette difficulté de l’abstraction semble déjouée. En effet, le symbole permet d’être clair en une fraction de seconde: il nous apparaît, nous l’intégrons, nous l’analysons et nous posons une action en fonction de ce qu’il désigne. Voici les toilettes des dames; mon ami est triste; je cumule des étoiles à l’épicerie pour mon menu santé. Cela nous porte à croire qu’avec l’image, nous avons une longueur d’avance sur le langage par rapport à la compréhension du monde. Que d’efficience dans ce monde où tout tourne trop vite et où la compréhension fine de la langue (et donc des concepts) peut être un frein à l’intelligence.
Or, puisque le langage est à la source de notre communauté, on est en droit de se questionner sur notre façon que nous avons à être ensemble dans une société où près de la moitié de la population présente des difficultés à lire et à écrire et dont un Québécois sur 5 présentent des difficultés majeures à lire un texte. La clé ne vient pas du symbolisme, car celui-ci, utilisé pour lui-même, nous entraîne dans un réductionnisme de la pensée et à une perte flagrante de liberté. Le symbole est une portée d’entrée vers un objet ou une situation précise. Son interprétation doit nous permettre de le dépasser afin, dans certains cas, de mieux comprendre le réel. Or, la propension que nous avons de tout réduire le mieux possible à l’image ne permet pas à tous de s’ouvrir sur une nouvelle compréhension du monde. Elle l’enferme dans le symbolisme, y trouvant là du sens, de la signification et, à la limite, des réponses.
Il n’est pas obligatoire de savoir utiliser sciemment les termes subtils de toutes sciences pour créer une communauté, mais qui va pouvoir définir les termes nécessaires à celle-ci, si nous ne savons plus à quoi il réfère, nous fiant à l’image qu’on veut bien lui donner? Qui pourra définir ce qu’est la richesse, l’exploitation, la justice, l’injustice, le droit, les libertés, la vie publique, la vie privée, le bien, le mal et le reste? Qui, surtout, saura répondre: « cela est vrai! »?
Image: Saturation #4 par Bernard Venet | Pictogrammes : Enigma Prod.