New York, jour 2: Cent fois sur le métier…
Je ne suis pas reconnu pour ma patience. Pourtant aujourd'hui, on nous a servi une belle leçon d'humilité, en de nombreux actes successifs.
Départ plus lent pour une journée constituant en quelque sorte un éloge de la lenteur. Il est de mise que notre rythme s'adapte à celui des lieux et des êtres qui s'offrent à nous. Évitant toujours l'île de Manhattan, nous nous rapprochons du véridique objet de notre recherche, comprendre le rapport entre le produit et sa représentation, entre le créateur et sa mise en scène.
Première étape, prendre possession de nos nouveaux et permanents quartiers pour cette semaine. Le Box House Hotel est situé à la pointe nord de Brooklyn; un "hotel boutique" dont le cachet est marqué par la subtilité irréprochable de son aménagement intérieur. Les toiles décorent les murs en une mosaïque d'éléments colorés, les objets divers qui agrémentent les vastes espaces communs semblent sortis de fictions contemporaines, mêmes les plafonds racontent des histoires.
Le gymnase de l'hôtel, recouvert de miroirs dépareillés, semblent sortir d'un conte dystopique, comme une célébration paradoxale du narcissisme. Tout semble réfléchi, médité, comme si l'espace incarnait pleinement la posture philosophique de ses concepteurs.
Cette authenticité se retrouve aussi un peu partout dans DUMBO, où nous passerons la journée. Le quartier – District Under the Manhattan Bridge Overpass – a évolué énormément depuis les premières configurations du Brooklyn Bridge Park qui a marqué son évolution. L'architecture ultra-moderne côtoie les vestiges industriels avec élégance, des bâtiments LEED s'intègrent au paysage, silencieusement, respectueusement, combinant l'anhistoricité du béton brossé à des ponctions de rouille et de boiseries séculaires.
Nous déjeunons au "Superfine", un restaurant-bar coopératif. Le service est absolument excellent, on se sent véritablement pris en charge à tout moment, sans insistance – et le menu est à la hauteur du design de l'espace, les murs de brique arborent des oeuvres d'art locales, des ouvrages forment une bibliothèque, et de nombreux articles de presse sont disponibles… Au coeur de la métropole, sous le Manhattan Bridge, nous écoutons un groupe bluegrass nous chanter des balades. On passe le chapeau. L'établissement doublera chaque dollar remis par ses invités.
À quelques coins de rue de là, nous montons au 6e étage d'un grand immeuble blanc immaculé où se trouvent les bureaux de SwissMiss Studios – la fondatrice de CreativeMornings Tina Roth Eisenberg s'y trouve peut-être. Mais non. Malgré son absence, nous laissons quelques autocollants de Montreal_CM à un collègue. Nous redescendons. DUMBO beach est en voie d'aménagement. En face, des fenêtres du sol au plafond nous dévoilent un petit café, le Punto Bianco, idéal pour marquer une pause et observer la faune locale.
Nous y sommes accueillis par George, le propriétaire sympathique du café aux immenses fenêtres. Les murs sont décorés par les shadowboxes de l'artiste Lisa Swerling. Des miniatures réalisées avec un niveau de détail incomparable, sur des fonds illustrés, splendides. Les titres sont évocateurs. Le tout requiert, assurément, beaucoup, beaucoup de temps.
George est un propriétaire assez rare. Il parle 7 langues et connaît tout le monde, chez lui comme ailleurs à New York. Il nous parle des grandes familles qui ont contribué au développement de Brooklyn. Il sait qui a acheté quoi, quand. Dans une alcôve, en retrait, il hésite entre quelques oeuvres à accrocher. Il nous interpelle à nouveau, consulte les 6 personnes assises au bord de la fenêtre, dont nous. Nous en choisissons démocratiquement une, puis une autre. Il sort son tournevis. Va préparer un espresso. Il nous raconte des histoires de publicité et de gestion de marque dans les textiles.
On parle de théorie, de tout et de rien. "Advertising is a tax for having a bad product or service", disait Robert Stephens. Partout où nous passons en ce deuxième jour, les produits et le service se satisfont à eux-mêmes. Ils se passent, en quelque sorte, de mise en scène extérieure. Ils se suffisent. Nous laissons nos coordonnées à George, lui serrons la main. Nous nous reverrons. Chose dite…
Le soleil a bien passé son zénith, la lumière reprend ses teintes dramatiques d'orange et de bleu ; nous nous faufilons entre avenues et ruelles, au fil des rues adjacentes. Dans un entrepôt, le collectionneur Baxter & Liebchen écoule un stock impressionnant de meubles scandinaves originaux. On traverse les époques, on apprécie les textures, les boiseries, les textiles, un peu d'électronique classique, aussi.
Un peu plus loin, l'artiste-menuisier Mark Jupiter expose son entrepôt ouvert. Il y recycle de vieilles boiseries en impeccables créations mobilières, qui se vendent à plusieurs milliers de dollars pièce. Un jeune photographe tente de lui négocier un vieux chariot, mais rien n'est à vendre qui ne soit pas passé d'abord par un travail de restauration assidu. Not for sale. C'est rare, mais dans ce quartier d'authentiques passionnés, moins qu'ailleurs.
Nous passons par le Brooklyn Bridge Park en direction du siège social de la maison d'édition powerHouse Books, qui a pignon sur rue en face du parc. Sa «powerHouse Arena» propose une sélection d'ouvrages – peu de bestsellers – dont beaucoup d'oeuvres relativement rares et aménagées selon une disposition aérée. Je réclame les "Afternoon Interviews" Marcel Duchamp (voir Jour 1). Ici, on connaît. Évidemment. Mais la dernière copie a été vendue le matin même. Brooklyn, quand tu nous tiens…
Nous poursuivons la balade, vers Brooklyn Heights. Les façades me captivent. Le Pain Quotidien, la Almondine Bakery, le Jacques Torres Chocolate, le ModuleR, ou le Zakka, une "librairie" où nous trouvons tout le «paraphernalia» culturel d'origine japonaise, personnages-robots de taille nature, posters colorés et esquisses originales de mégalopoles imaginaires. Tout se détaille vingt fois plus cher qu'on aurait envie d'investir, mais la rareté est élevée dans chacun de ces endroits en valeur absolue. Elle abreuve l'écologie locale, exigeante de différenciation. Nous testons les biscuits au chocolat d'Almondine et de Torres, trouvons à chacun des vertus. La journée s'achève, entre les deux ponts. Le soleil se couche sur la grosse pomme. Nous rentrons, écrire un peu, et méditer.
Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage… Peut-être, dans l'assiduité de ces écrits, notre rôle de collectionneurs prend-t-il son sens? Quelle patience pour l'impétuosité des créateurs? Cette semaine nous fournira, assurément, des pistes de réponse.
f. & co participe cette semaine à Advertising Week à New York à titre de reporters sociaux pour l'Association des agences de publicité du Québec (AAPQ) au sein de la délégation montréal.ad. Suivez nos péripéties et notre dépistage de tendances sur #RDVAdWeek et #AWX. Tous nos billets concernant AdWeek sur blog,fandco.ca sont accessibles ici.